"Le Maître de thé", Yasushi Inoué

 

Pour commencer en musique :

harunobumfabSuzuki Harunobu , Aigrettes dans la neige, MFA Boston

 

 

"Le Maître de thé"est le dernier roman de Yasushi Inoué, mort en 1991. Il nous fait accompagner un moine nommé Honkakubō du temple Mii-déra, dans les questions qu’il se pose  au long de l’écriture de son journal dans le Japon du XVème au XVIème siècle. Nous rencontrons ainsi des Maîtres de la Voie du thé, zen sans trop nous le faire savoir, au plus près de leurs cheminements, dans leurs moments d’émotion dus à la mémoire de leur ami défunt comme dans leurs singuliers éclats de rire.

Ne cherchez pas d’autre femme dans ce livre que celle du voisin du moine, page 185 :

« Comme la femme du voisin avait entretenu le feu, je dormis là jusqu’au matin suivant. Ma fièvre ne tomba pas de deux jours. »

Et encore en bas de la même page et page 186 : « Ces quatre ou cinq derniers jours, c’est la femme du voisin qui m’a apporté mes repas, mais aujourd’hui, pour la première fois, je me suis préparé moi-même une bouillie de riz. » Et c’est tout.

Le narrateur nous apprend que son maître Rikyū a eu au moins un fils et un petit-fils. Il ne nous dit rien des mères ou des épouses. Elles sont les absentes du récit. La Voie du thé ne passerait pas par les femmes, apparemment.

Je déplore d’autres absences au fil des pages : vous ne trouverez pas de sexe, ni d’excrément, ni de larmes –seulement une spatule pour le thé nommée « Larmes » devant laquelle Monsieur Oribe prie chaque jour-, ni de sang – bien que la guerre et les champs de bataille soient le quotidien des samouraïs à l’époque à laquelle vivait Monsieur Rikyū et que le suicide rituel par seppuku (littéralement coupure au ventre) dût se terminer dans une flaque rouge -, ni de sueur, ni de hurlements dans les colères des puissants, ni de boue – juste la peinture sur laquelle s’épanouissent deux fleurs de lotus dont les racines s’enfoncent dans la boue naturellement-, ni de crasse, ni de poils – juste l’anecdote du chef de guerre, le Taïkō Hideyoshi, paradant sans son chignon, les cheveux à peine attachés, la natte défaite, comme une négligence incompréhensible-, ni d’enfants qui jouent, ni d’animaux réels – seulement des représentations comme ces fameuses deux aigrettes. Ce rituel du thé protégeait-il de la fureur du monde qui bouillonnait aux portes de ces maisons, mettant les hommes hors du temps, comme entre parenthèses, et pourtant complètement dans leur vie ?

Je vous livre les premières lignes d’une description, page 104 :

« -"C’est donc là le célèbre tableau aux aigrettes !" Ce fut à peu près tout. Mais la beauté de ces deux aigrettes blanches est restée gravée en moi.

- Oui ! deux aigrettes blanches, parmi les algues vertes, et deux feuilles de lotus…  Les plantes aquatiques sont représentées en deux ensembles, avec chacun une fleur épanouie. C’est vraiment une œuvre remarquable ! Monsieur Jukō l’ayant reçue du Shōgun Ashikaga, c’était assurément l’un des chefs-d’œuvre de la peinture chinoise ancienne. Toutefois, qu’elle permette d’appréhender l’essence du style sain et simple me désorientait beaucoup. »

Pour ensuite se rendre compte de l’importance du marouflage du tissu lui-même et de la corde pour l’accrocher dans la pièce de cérémonie, ce fameux tokonoma.

Pour illustrer le travail du moine, sa discipline, p. 69 : « C’est aujourd’hui le troisième jour. J’ai commencé très tôt ce matin. Au crépuscule, j’ai terminé la deuxième partie du « Catalogue de Jukō », qui s’achève par une évocation de vases. Je me sentais très fatigué. Je me suis levé pour aller me promener dans le jardin, derrière la maison : les fleurs du cerisier sont presque épanouies ! Je ne m’en étais pas encore rendu compte, mais elles seront sans doute en pleine floraison demain ou après-demain… »

La surprise de la beauté des fleurs d’un cerisier. Je suis touchée à mon tour, la vie est là. Elle nous arrive encore, chaque année, même à quatre cents ans de distance, même en France.

L’émotion est ici contenue, feutrée, p. 88 :

« - Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes vus, dis-je en m’inclinant profondément.

- Je suis heureux de vous retrouver en bonne santé.

- Je suis très ému.

- Moi aussi. »

J’eus du mal à empêcher mes larmes de couler.

« Monsieur Honkakubō, vous n’avez absolument pas changé !

- Ah ! Merci. Vous non plus.

- Nous avons tout de même vingt ans de plus, n’est-ce pas ?

- J’ai tenté de résister à toutes ces années… Je vous remercie de m’avoir invité.

- Moi aussi, j’ai résisté. »

 Je me suis alors demandé pourquoi on disait qu’il avait changé le thé. Sa salle était de trois tatami, et une calligraphie de Maître Rikyū était accrochée dans le tokonoma.

Il prépara le thé avec un pot chinois que j’avais déjà vu une fois, et aussi un bol de karatsu. Il avait exactement les attitudes de Maître Rikyū… Etait-ce parce qu’il avait grossi ? Il semblait pratiquer la cérémonie avec les gestes de notre Maître. 

Je vous laisse poursuivre votre lecture dans le livre… 

J’avais fini de lire ce roman de Yasushi Inoué, en écoutant un CD Ocora – Radio France intitulé "Japon : L’art du Shakuhachi" (flûte verticale en bambou à cinq trous) et je commençais ce texte de présentation pour notre blog de lecteurs quand le tsunami lié au tremblement de terre a frappé le Japon et sa population. Quelle tristesse ! Comment garder la poésie du printemps après ces catastrophes en chaîne ? Comment rester sur le chemin de cette Voie du thé ? Terrible secousse et tant de morts.

Pour terminer, je voulais ajouter un haïku, trouvé dans le livre "Haïkus des quatre saisons", aux Editions du Seuil, illustré avec des estampes d'Hokusaï :

 

     Un monde de douleur et de peine

     alors même que les cerisiers

     sont en fleur                              ISSA       

 

                                                                                       Et puis j'ose :

 

                                                                           Tout peut arriver

                                                                           assise au chant des oiseaux

                                                                           face au cerisier.

                                                                                                     (en fleurs blanches, 30/03/11 - Nathalie)

 

Avec ce pliage pour s'envoler :                                                                                                            

 

 

¤¤¤Nathalie¤¤¤

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